6.Superprofit et l'Actionnaire
Le chevalier avait beaucoup marché déjà lorsqu’il parvint au bord d’un étang dont l’eau était très basse. Tout à coup, il en vit surgir un être monstrueux qui se précipita sut lui, les bras grands ouverts pour s’emparer de lui et, sans doute, le dévorer. Mais il s’arrêta net, vu l’étrange apparence du visiteur.
- Qui es-tu et que viens-tu faire en ces lieux ?
- Je suis le chevalier Clément et je viens rendre la vie, la beauté à la terre et convertir tous ses habitants à la bonté et à la paix universelles Et toi ?
- Je m’appelle Superprofit et voici mon acolyte l’Actionnaire et…
- Je vois, le coupa le chevalier. Toi et ton acolyte êtes la cause de tous les malheurs de la terre. Vous l’avez détruite par votre rapacité sans borne. Vous devez disparaître, goinfres sans limite, à moins de changer totalement, mais le pouvez-vous ?
- Mais nous ne pouvons changer, c’est dans notre nature. Les lions sont-ils coupables de pourchasser sans cesse leurs proies pour les dévorer ? Peuvent-ils changer ? Non.
- Je m’occuperai des lions plus tard ; d’abord, le lion ne s’attaque plus à des proies dès lors qu’il est repu. Tandis qu’il est dans votre nature de manger toujours et de n’être jamais rassasiés. Enfin, tous les êtres vivants devront être herbivores. C’est un contrat pour le monde nouveau qui doit être obéi par tous sans exception. L’herbe et les plantes, ça repousse, la chair, non.
- Mangez-le, patron, intervint l’Actionnaire.
Sans tenir compte de cette interruption servile, le chevalier continua : « Tu me rappelles un très vieux mythe, celui d’Érysichthon, ton ancêtre probablement. Ayant abattu un chêne consacré à Cérès, celle-ci le condamna à avoir faim sans cesse, à manger toujours sans jamais être rassasié. Ayant mangé tout ce qu’il pouvait, il n’eut plus rien à se mettre sous le dent et finit par se dévorer lui-même. Mais il s’agissait d’un seul individu et, celui-ci mort, la terre ne s’en porta que mieux. Tandis que ta goinfrerie a infesté toute la planète – regarde le résultat - et que tu finiras par te dévorer toi-même, faute d’aliment ; mais, si tu en es réduit à te dévorer, c’est qu’il n’y aura alors plus rien ; il est encore temps de sauver ce qui reste et de donner un bel avenir à cette terre. Vous devez disparaître, vous êtes irrémédiablement mauvais. »
Furieux, Superprofit se précipita sur le chevalier pour le saisir et le dévorer, tandis que l’Actionnaire, couard, se cachait derrière un buisson, tout en espérant avoir des miettes du repas de Superprofit.
Le chevalier brandit son arme : il trancha les mains de Superprofit, ces mains qui s’emparaient sans pitié et violemment de ses proies, il coupa son nez qui flairait les affaires « profitables » et ruineuses pour bien d’autres, il sectionna le haut du crâne où naissaient les projets calculateurs et maléfiques. Sans mains, sans nez et amputé de sa réflexion, il ne pouvait plus faire de mal. Sa vie, s’il vivait, serait celle d’un infirme. Il méritait bien cette punition, vu les très longues souffrances infligées à la terre et à ses vivants.
En hurlant, Superprofit, complètement désorienté, se précipita dans l’étang suivi de l’Actionnaire, négligé par le chevalier. Du reste, celui-là ne pouvait plus faire de mal. Il avait dévoré tant de biens que ses dents usées étaient toutes rondes et inoffensives. Il tiendrait compagnie à Superprofit…