1.Ouverture
Le tableau ci-dessous a été peint par Jean Gabriel Guay (1848-1923) et exposé au Salon de 1898, se trouve au musée des Augustins à Toulouse. Il s’intitule « La Dernière dryade ».
Le peintre ne pressentait peut-être pas les catastrophes écologiques à venir, bien qu’il ait connu l’expansion des sciences, de l’industrie et des techniques qui allaient bouleverser l’équilibre de notre planète. Il faut plutôt penser - mais c’est une perception symbolique et prémonitoire de ce qui allait advenir – que s’exprime le regret romantique de la prochaine perte de l’animisme hérité de la tradition gréco-latine, pour notre civilisation occidentale.
Le monothéisme chrétien a exilé – plutôt qu'expulsé – les anciens dieux et l'animisme pour laisser le monopole religieux à un dieu unique d'une part, et les Lumières, d'autre part, ont favorisé le rationalisme et le matérialisme, écartant les anciennes croyances et même les croyances en général. Cette idéologie a prospéré et, alliée au capitalisme, a conduit au désastre en cours.
L'animisme se porte bien malgré tout, même en Occident, sans parler des civilisations où celui-ci est « normal ».
Des poètes ont continué à célébrer les anciennes divinités, les mineures surtout comme les dryades, plus sans doute par fidélité à une tradition littéraire que par croyance en l’existence de celles-ci et en l’animisme; ainsi de Ronsard, furieux contre les bûcherons de la forêt de Gastine. Mais cette perception animiste du monde, auquel nous sommes reliés, a toujours existé avec une présence plus ou moins perceptible. Le romantisme français est animiste, le surréalisme aussi à sa façon.
Grecs et Romains n’étaient pas écologistes avant la lettre. Il ne faut pas se tromper de culture, d’époque et de motivation en faisant un anachronisme.
L’écologie actuelle se veut une science comme l’indique la formation du terme. C’est le domaine des rapports d’experts, des statistiques, de la rationalité. La nature doit être « protégée » et dans le but ultime de sauver l’humanité. Rien de tel chez les anciens qui étaient mûs par la transcendance du sacré.
Il existe bien des formes d’empathie pour la nature, et c’est estimable, mais la dimension du sacré en tant que tel a disparu, remplacée par une forme de sentimentalisme qui remet tout de même l’homme au centre. La vie est partout dit-on, mais sans la transcendance. Et il s’agit de s’identifier, d’une certaine façon, avec les différentes formes de vie. C’est du Walt Disney, point méprisable, mais ce dont les Anciens, guidés par le respect, faisaient l’expérience fondamentale était l’altérité de la nature relevant de la transcendance
Si on avait respecté la nature, on n’aurait pas besoin de la protéger maintenant. Les anciens, dans leurs croyances, l’avaient compris avec leur âme, et se souciaient surtout de la respecter.
Les dryades étaient des nymphes liées aux arbres qu’elles protégeaient. Elles n’étaient pas immortelles, mais pouvaient vivre très longtemps. Dans les croyances de l’époque, pour couper les arbres, il fallait d’abord s’assurer que les dryades avaient abandonné la forêt. Les hamadryades, contrairement aux dryades, étaient attachées spécifiquement à un arbre et mouraient avec lui s’il était abattu.
Ovide (Métamorphoses) rapporte le mythe très étonnant, et peu connu, d’Erysichthon. Ce mécréant avide voulut abattre un chêne consacré à Cérès pour ses besoins personnels. Malgré l’opposition de ses assistants, il coupe l’arbre. La punition de Cérès est à la mesure de ce crime perpétré par avidité. Elle condamne Erysichthon à avoir toujours faim et à ne pouvoir jamais se rassasier. Ayant consommé, sans satisfaire sa faim, tout ce qu’il pouvait manger, il ne lui reste plus que la ressource de se dévorer lui-même. Bien des leçons sont à tirer de ce mythe. Remplaçons Erysichthon par le capitalisme. On voit ce que ce mythe a de prémonitoire à très longue distance.
Pourquoi un conte pour aborder, sérieusement mais légèrement, ce sujet « écologique » qui préoccupe toute la planète ?
Les ouvrages « sérieux » (rapports, essais), et un peu ennuyeux, abondent.
Des romans même sont consacrés à la question. Pas la peine d’en rajouter. Toutes les civilisations ont des contes et légendes, mais toutes n’ont pas créé le roman.
On a souvent parlé du « désenchantement du monde ». Pour le réenchanter, il y a le conte avec la dimension du « merveilleux ». Il faut avoir gardé l’âme ouverte de l’enfance à toutes les éventualités pour goûter les contes. « Il y a des contes à écrire pour les grandes personnes, des contes encore presque bleus » écrivait A. Breton. Le merveilleux remplacera ici le sacré. Et dans le conte, tout est possible.
Voici donc une manière de conte où le merveilleux côtoie le cocasse, le fantasque et l’humour. Pourquoi pas ? Puissent les lecteurs y prendre, comme à Peau d’Âne, « un plaisir extrême ».