cerisier rose...
« Cerisier rose et pommier blanc »
Cette jolie chanson populaire, dont la musique est de Louiguy et les paroles de Jacques Larue, a été interprétée par André Claveau en 1950. On a beaucoup ironisé sur l’inversion prétendue fautive des adjectifs de couleur, les fleurs du cerisier étant blanches et roses celles du pommier, du moins de ce côté-ci du monde.
Une rapide investigation sur le Net montre différentes interprétations de cette soi-disant« bévue ». Je n’en tiens pas compte : à mon humble avis elles sont erronées ou du moins insuffisantes.
Une « bévue » ? Pas si sûr… Il y a une autre interprétation si l’on se reporte au texte intégral, auquel on ne fait guère attention pris que l’on est par la ritournelle charmante du refrain. Et il ne saurait être question de prétendre que le cerisier est rose parce qu’il se trouve dans le jardin de la demoiselle et que la couleur traditionnellement associée aux filles est le rose, comme le bleu (absent du texte) l’est pour les garçons. Les seules couleurs dans cette chanson sont le rose et le blanc aux sexualités symboliques complémentaires.
La chanson évoque d’abord la douceur du contact (« La branche d’un cerisier/De son jardin caressait/La branche d’un vieux pommier/Qui dans le mien fleurissait »), puis l’enlacement (« De voir leurs fleurs enlacées/Comme un bouquet de printemps/Nous vint alors la pensée/D’en faire autant »). Cette progression favorise l’échange des couleurs. Il n’y a pas seulement une inversion qui, en tant que telle, ne remet pas en question la fixité des propriétés qui sont simplement permutées (statu quo inversé). Il y a plutôt échange, ce qui ouvre une perspective dynamique : les propriétés peuvent passer d’un objet à l’autre, s’échanger, elles ne sont pas arrimées… Il y a là ce qu’on appelle une hypallage. Par cette figure de rhétorique fort ancienne on attribue, ici, la couleur du cerisier (blanc) au pommier et celle du pommier (rose) au cerisier. En outre, avec l’hypallage – en régime poétique - chaque entité conserve aussi sa qualité d’origine (celle de la réalité notamment) tout en acquérant celle de l’autre (Ibant obscuri sola sub nocte per umbras). Le texte le dit qui réunit les deux couleurs sur les demoiselles (« Mais un beau jour les demoiselles/Frimousse rose et voile blanc ») puis sur un arbre unique (« Le cerisier tout fleuri/Et le pommier n’en font qu’un »), fusion métaphorisant l’union des amants (« Nous sommes femme et mari»). Ni inversion, ni simple échange, mais plutôt transfert participatif qui a pour effet la constitution d’une nouvelle unité complexe : dans cette chanson-poésie, qui est un petit récit, les deux arbres finissent par fusionner en une seule unité dans ce monde imaginaire, comme les amants dont ils sont les symboles.
Le mythe ou la fable ne sont pas loin, en mode mineur : il n’y a pas ici transformation d’humains en arbres (Philémon et Baucis) ni l’inverse, mais une analogie imitative : les humains imitent les arbres !
Une simple chansonnette ? Elle invite toutefois, sans le dire et sans y prétendre, à des prolongements (l’identité, l’altérité entre autres).
Au fait, cet arbre hermaphrodite existe, je l’ai rencontré…