Le chevalier poursuivit donc sa quête, mais il rencontra bientôt des êtres inquiétants. C’était des arbres rescapés présentant un trou démesuré sur le tronc. Il s’approcha – car pourquoi avoir peur des arbres ? - mais précautionneusement, tant l’intriguait cette sorte de gueule béante. Il s’arrêta net en sentant qu’il était aspiré par ces trous.
Approche, petit, n’aie pas peur, dit l’un d’eux d’un ton doucereux.
Que voulez-vous ? Vous avez un aspect effrayant. Je vous préviens que je suis impropre à la consommation.
Ah bon, firent les arbres déçus.
N’avez-vous pas honte, s’exclama le chevalier ; Vous savez pourtant que les arbres ne sont pas carnivores, c’est contre nature !
Nous le savons, répondirent-ils tout penauds, ce n’est pas de notre faute ; mais vu le changement climatique, il n’y a plus d’eau pour nos racines, plus de nutriments dans le sol et, pour survivre, nous avons dû changer notre régime alimentaire et nous nourrir des rares animaux passant à notre portée en les happant avec ce qu’il nous reste de force. Il y a d’ailleurs très longtemps que nous n’avons pas mangé. Où sont passés les animaux ? Notre camarade ici présent s’est abattu, de faiblesse, et est mort de faim, la gueule ouverte. Si ce n’est pas triste !
Et en effet, Le camarade, gisant à terre, était dans un bien triste état, mort dans l’attente d’une nourriture improbable…
Le chevalier fut ému de cette détresse. Les arbres n’étaient pas méchants, seulement affamés et privés, par la faute des hommes, de leurs moyens de subsistance.
Écoutez, dit-il. Je suis le chevalier Clément, investi par la fée Mélusine d’une mission capitale : redonner vie à la terre, que l’eau coule en abondance, que le sol et le sous-sol soient de nouveau riches et fertiles, que tous les êtres vivent en harmonie et sans prédation. Je mènerai cette mission à bien avec l’aide des fées. Vous retrouverez donc votre vie heureuse d’avant la catastrophe, je vous le promets. En attendant – ça ne devrait pas être bien long – abstenez-vous de manger des animaux. D’ailleurs vous n’en verriez guère. Soyez patients. Je compte sur vous. Promis ?
Nous le promettons dirent les arbres à qui ce discours ferme de Clément avait redonné espoir et confiance.
En fait l’esprit du chevalier était loin d’être aussi ferme que le laissaient penser ses propos. Il avait parlé « des » fées, au pluriel, en bluffant, de l’avenir radieux comme si c’était une certitude – au vrai, il n’en savait rien, mais il fallait bien remonter le moral de ces pauvres arbres !
Il continua son chemin, aux prises avec du tourment, car jusqu’ici il avait seulement débarrassé la terre de l’Ennemi – ce qui était tout de même crucial pour sa mission,, se réconforta-t-il - et tiré une hypothèse du message de la sorcière. On verra bien, se dit-il, toujours aussi plein d’entrain et de courage.
Les êtres que le chevalier rencontra ensuite ne lui causèrent aucune crainte car il les connaissait et c'étaient des herbivores. Il y avait un éléphant et un bison. Mais ils semblaient figés.
Hem ! fit le chevalier, pour attirer leur attention
Peine perdue. Les animaux ne bougeaient pas. Clément frotta doucement la trompe de l’éléphant et la tête du bison. Ils ouvrirent péniblement les yeux, comme s’ils sortaient d’une profonde léthargie.
Oui, qui est-ce qui nous dérange sans façon ?
Le chevalier s’excusa, se présenta et exposa sa mission – mais comme on l’a déjà détaillée, on ne va pas recommencer. Et il leur demanda pourquoi ils étaient aussi endormis.
Nous n’avons plus rien à manger. L’herbe a presque disparu à cause du changement climatique dû à cette chaleur excessive et permanente. Alors nous avons décidé d’hiberner en attendant des jours meilleurs, s’il y en a, sinon nous périrons d’inanition.
Le chevalier leur dit qu’ils avaient agi fort sagement et il leur promit que l’herbe repousserait bientôt quand il aurait complètement achevé sa mission. Ils pouvaient continuer leur hibernation, jusqu’au retour de températures clémentes qui les réveilleraient assurément, ce qu’il firent après avoir salué et chaleureusement remercié le chevalier. Toujours des promesses sans certitude ! Enfin, on verrait bien, il avait confiance tout de même. Il fut quand même surpris de remarquer que le bison s’était confectionné – comment ? - une sorte de barbe-moustache ressemblant fort à du givre. Il avait dû prendre le mot « hibernation » au sens littéral.