9. La rencontre

  • Ouais, c’est limpide maintenant (mort de rire). Maintenant, peux-tu me dire comment ils se sont rencontrés, car, dans la vie courante, les oiseaux sont farouches et se méfient des humains. Alors, une relation amoureuse entre ces deux espèces, tu plaisantes ! Ça va être encore une de tes billevesées.
  • Pas du tout ! Et d’abord, dans la vie courante, les relations affectives, une forme d’amour, entre espèces, sont largement avérées. Tu m’as demandé au début la raison de ces transformations, mais tu l’as bien sûr deviné : elle était devenue amoureuse d’un bel oiseau et voulait vivre avec lui, d’où la transformation. Cet amour était réciproque…
  • Oui, j’avais deviné bien sûr. Mais comment se sont-ils rencontrés, puisque les oiseaux se tiennent à distance des humains ?
  • Il est vrai que c’est un conte que je t’ai présenté - avec de multiples enseignements possibles, mais ce que je vais te raconter pour finir est absolument authentique. Voilà : c’était par un beau soir bleu d’été ; la petite fille, penchée à sa fenêtre grand-ouverte, regardait s’allumer les étoiles et respirait, vaguement troublée, les parfums de la nuit, quand une petite boule douce et tiède vint se poser sur son cou et y resta quelque temps. Nul ne sait qui fut le plus ému des deux. C’est que, sans s’en douter vraiment, ils s’aimaient depuis longtemps. C’est ainsi que tout débuta.
  • Tu n’aurais pas pu commencer par là ? L’histoire aurait été tout à fait logique ! Il ne reste plus qu’à lire ton histoire à l’envers. Farceuse, va !
  • Mais c’est de ta faute, tu as voulu toujours savoir ce qui se passait avant ! Tu n’as d’ailleurs pas tort de vouloir remonter le temps, mais ce n’est pas facile à raconter.

Bon, la maman n’est pas vraiment très honnête. Elle est un peu responsable de la manière dont se déroule ce conte à rebours, sans doute pour tenir en éveil la curiosité de son enfant, outre l’attrait pour le merveilleux. Toucher le cœur en même temps que l’esprit. Cela peut être une manière pédagogique louable. N’en a-t-on pas la preuve dans la réplique ci-dessous ?

  • En tout cas, ton histoire est émouvante et elle me rappelle une vieille et célèbre chanson « Un petit poisson, un petit oiseau s’aimaient d’amour tendre, mais comment s’y prendre… ?»
  • Bien, je te félicite de ce rapprochement. En effet, comment marier deux espèces différentes ? Cela a toujours été une grande préoccupation que de franchir certaines frontières établies par la nature. Réellement, par la science ou la technique – qui ne nous intéressent pas ici – ou par l’imagination sous diverses formes  : la chanson que tu évoques en reste au niveau des souhaits non réalisés. Le conte tente de les concrétiser, de réaliser l’impossible, en quoi il est plus mythique que la chanson sympa et légère.
  • Ah, bon, tu philosophes maintenant, on n’est plus dans du conte, tu mélanges les genres. Tant pis ou plutôt tant mieux, ça change et on apprend des choses… Toutefois, quelque chose m’intrigue dans ce conte… Tu as dit au début que tu allais me raconter « la stricte vérité ». Je ne suis pas né de la dernière pluie et je sais que bien des conteurs présentent leurs récits imaginaires comme étant la stricte vérité. Les auditeurs ne s’y trompent pas et sont complices de cette ruse des narrateurs. Ils vont feindre d’y croire… A la feinte du conteur répond la feinte des auditeurs et tout le monde est content. Mais, tout à fait à la fin, tu dis que ce que tu vas raconter est « absolument authentique ». Encore une ruse, finale, qui répond à la ruse initiale ?
  • Pas du tout. Il est tout à fait vrai que cette rencontre-surprise de la petite fille et de l’oiseau, très émouvante, a eu lieu comme je te l’ai narré. Je te le jure.
  • Mais comment le sais-tu ?
  • C’est très simple, la petite fille c’était moi. Enfin, je n’étais plus vraiment une petite fille, mais la rencontre s’est bien déroulée ainsi. C’était il y a bien longtemps…