« Une pensée est une chose aussi réelle qu'un boulet de canon » (Jourdan : 1754-1824)

Le mot fiction dérive du latin fingere. Comme le verbe latin, il renvoie, notamment, au mensonge (vx), mais aussi au fait imaginé (invention, imagination), spécialement à une création de l’imagination en littérature (Petit Robert). Il a logiquement pour antonymes réalité et vérité. Laissons la vérité pour une autre fois et restons-en à l’opposition fiction vs réalité. Encore une belle dichotomie. Celle-ci peut servir à affirmer la seule dignité ontologique de la réalité (et son sérieux) vs la futilité, même plaisante, et l’inconsistance ontologique de la fiction ; l’inverse peut être soutenu (plus rarement, par des artistes évidemment). Bien sûr, ce jugement ontologique contrasté va de pair avec un jugement axiologique, contrasté lui aussi (positif/négatif). Des esprits plus équitables et plus charitables peuvent, tout en valorisant positivement la réalité ainsi que la fiction, maintenir l’opposition sur le plan ontologique : ce sont les plus dangereux. Toutes ces positions ne remettent pas en cause la dichotomie, la séparation des domaines du réel et de l’imaginé.

Aylan Kurdi

Plus d’un mois a passé depuis cette tragédie… Mais il n’est pas trop tard pour féliciter la photographe et les journalistes de divers pays d’avoir diffusé ces photographies bien propres à susciter, on l’a vu, la compassion généralisée et, sans doute, l’indignation. Ce premier mouvement de la sensibilité est le bon, avant toute réflexion. Et cette photo était tout à fait propre à provoquer ce bouleversement affectif. En effet, les houles qui ballottent les corps des noyés, notamment des pauvres petits enfants, semblent avoir épargné Aylan : sur une photo, la tête tournée vers la mer frôle la frange des flots, et, sur les deux photos, les jambes sont jointes et les bras allongés le long du corps comme si l’enfant dormait paisiblement. Rien de morbide dans ces photos qui ne pouvaient que produire la pitié indignée. Rien à voir avec d’autres photos qui ont circulé sur les réseaux et que Mediapart a choisi, en prenant des précautions, de publier (voir l’article de Carine Fouteau Réfugiés: ces images d’enfants qui font vaciller les opinions publiques, Mediapart du 3 septembre 2015) ; ces photos d’autres petits noyés rejetés sur la grève avec les membres en vrac et les vêtements retroussés, outre la pitié, provoquent l’horreur et la colère. ( texte publié aussi sur mon blog de Mediapart)

Suspect

Ayoub El-Khazzani, maîtrisé dans le Thalys avant d’avoir pu agir, est invariablement désigné par les journalistes (radio, TV et même Le Monde) comme « le suspect ». D’après la définition II (substantif) B du Trésor de la Langue Française un suspect est «Celui que l’on présume être l’auteur d’un crime, d’un délit » et « présumer » signifie, selon le même ouvrage : « croire d’après certains indices, se faire une conviction sans preuves, considérer comme probable - Présumer qqn coupable, innocent, suspect. Croire, supposer quelqu’un comme tel, uniquement d’après des indices, des apparences, sans pouvoir fournir de preuves certaines ». Dans ce cas de flagrant délit, et vu de nombre de témoins qui auraient pu être des victimes, le terme de « suspect » est complètement impropre pour le moins. Pourquoi est-il repris systématiquement sans qu’on s’interroge sur la signification exacte de ce mot ? De la précision des mots dépend la précision des idées… et de l’information.